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Dutreil - Les pièges de l'engagement collectif réputé acquis

Les pièges de l'engagement "réputé acquis"

                Le dispositif en faveur des transmissions à titre gratuit d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, nécessite trois conditions essentielles (CGI, art. 787 B) :

1/ Un engagement collectif de conservation des titres de deux ans (par le donateur et un autre associé personne physique ou morale), portant sur au moins 34% des droits de vote et droits financiers (ou 20% si les titres sont admis sur un marché réglementé).

2/ L’exercice d’une fonction de direction (ou de l’activité professionnelle principale pour les sociétés de personnes visées aux articles 8 et 8 ter du CGI) ;

3/ Un engagement individuel de conservation des titres transmis d’une durée de quatre ans, par les donataires.

En définitive, les titres qui font l’objet de la transmission doivent être conservés dans la sphère familiale pour une durée minimale de 6 ans (2+4) afin de bénéficier de l’exonération d’assiette de 75% au titre des droits de mutation à titre gratuit.

Lorsque l’ensemble des conditions sont remplies depuis plus de deux ans, le 4ème alinéa de l’article 787 B, b) du CGI permet de s’affranchir de l’engagement collectif de conservation de 2 ans en réputant ce dernier « acquis ».

Si le « réputé acquis » semble attractif dans la mesure où il permet de faire passer de 6 à 4 ans le risque d’une déchéance du régime de faveur, le donateur et surtout son conseil, doit en mesurer toute la portée.

Attention aux pièges car ils ne sont pas anodins !

Engagement collectif ou "réputé acquis" ?
 

L’engagement collectif de conservation (ECC)

Les conditions de mise en œuvre

                Pour bénéficier de l’exonération de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75% de la valeur des parts ou actions transmises l’article 787 B, a) du CGI impose pour principe la conclusion d’un engagement collectif de conservation des titres pour une durée minimale de deux ans.

Cet engagement doit être pris par le donateur pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec au moins un autre associé, et doit également porter sur au moins 34% des titres.

Les incidences sur la transmission

                Une fois les conditions de l’ECC remplies, la donation doit être réalisée avant l’expiration de l’engagement collectif.

En pratique, la conclusion de l’ECC et la donation sont réalisées le même jour. L’horodatage attaché à l’acte authentique permet ainsi d’assurer la sécurité de la chronologie des actes.

Toutefois, lorsque la conclusion de l’ECC est réalisée à titre conservatoire,

c’est-à-dire, lorsque la donation a vocation à être réalisée plus tardivement,    il est peu recommandable de prévoir une durée fixe de 2 ans dans l’ECC.

Dans cette hypothèse, il est généralement prévu une tacite prorogation de l’engagement collectif de façon à ce que ce dernier ne prenne fin « qu’après » la transmission à titre gratuit.

Une fois l’ECC ayant pris fin (minimum 2 ans), les donataires s’engagent à respecter un engagement de conservation individuel pour une durée supplémentaire de 4 ans, portant ainsi la totalité des engagements de conservation à 6 ans.

L’exercice d’une fonction de direction

                L’article 787 B d) du CGI, impose l’exercice d’une fonction de direction pendant toute la durée de l’engagement collectif et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission.

Les fonctions éligibles sont les mêmes qu’en matière d’exonérations ISF (CGI, art. 885 O bis), c’est-à-dire Gérant de SARL, PCS, membre du directoire, Président, DG etc.

Les titulaires éligibles à la fonction de direction

            Dans le cadre d’un ECC, la fonction de direction peut être réalisée par l’un des donataires ou directement par le donateur ou l’un des associés signataires de l’ECC, ou encore alternativement par l’un d’entre eux.

La doctrine administrative accepte également qu’en cas de vacance de la fonction de direction entre deux titulaires éligibles, l’exonération partielle ne soit pas remise en cause dans la mesure où cette vacance ne dépasse pas trois mois et survienne pendant la période des trois années qui suivent la transmission (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 270).

Enfin, même si dans le cadre d’une transmission démembrée où les pouvoirs de l’usufruitier [donateur] doivent être statutairement limités aux seules décisions d’affectation des bénéfices (CGI, art 787 B, i)), le chef d’entreprise pourra disposer d’un certain pouvoir de contrôle notamment en étendant le plus possible les pouvoirs du dirigeant. Ainsi, sans disposer de véritables droits vote en assemblée générale ordinaire ou extraordinaire, la gestion courante de la société pourra être conservée par le donateur.

Si l’ECC permet de mettre en place certaines stratégies ayant pour objet de préserver l’équilibre de la gouvernance de la société, un engagement réputé acquis est loin d’être aussi flexible.

L’engagement « réputé « acquis »

                Dès lors que les conditions de l’ECC sont remplies depuis plus de deux ans, il est possible de s’affranchir de sa conclusion et de passer directement à l’engagement individuel de conservation du donataire. Toutefois, il convient d’une part d’en appréhender toute la portée et d’autre part, d’agir en conséquence.

Une mauvaise mise en œuvre du « réputé acquis » : la précipitation

La chronologie impérative du dispositif Dutreil oblige le chef d’entreprise à anticiper de plusieurs années sa relève. Malheureusement, trop peu d’entre eux (ainsi que leurs conseils), maitrisent l’intégralité des conditions d’application de ce dispositif. On voit encore en pratique trop de chefs d’entreprises contraints de retarder leur départ, ainsi que leurs projets de quelques années, afin de pouvoir se placer sous le régime de l’exonération partielle.

Sur la hâte, Notaires, avocats, et experts-comptables, proposent parfois à leur client de prendre un raccourci en revendiquant l’application d’un engagement « réputé acquis » permettant à ces derniers de s’affranchir des 2 ans au titre de l’ECC.

Les textes fiscaux étant d’interprétation stricte, il convient d’appréhender cette alternative à l’ECC par une lecture complète des dispositions de l’article 787 B du CGI afin d’en recueillir tous ses effets.

Quid de la fonction direction ?

                Au même titre que l’ECC, la fonction de direction doit être exercée par une personne éligible au moment de la transmission.

Le « donateur » dans l’engagement réputé acquis, n’est pas repris au d) de l’article 787 B du CGI au titre de la fonction de direction. A ce titre, il ne peut donc pas exercer la fonction de direction conformément aux conditions imposées par le texte. Seul l’un des donataires pourra exercer cette fonction de direction.

Si cette analyse a dans un premier temps été celle de l’administration fiscale (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°250), une réponse ministérielle Moreau, JOAN, en date du 7 mars 2017 est venue confirmer que « le bénéfice de l’exonération partielle ne trouve pas à s’appliquer lorsque, postérieurement à la transmission, le donateur assume lui-même la fonction de dirigeant de la société ».

Ainsi, contrairement à l’engagement collectif de conservation qui permet au donateur d’adapter la transmission des pouvoirs de direction en fonction de sa situation familiale, l’engagement réputé acquis ne laisse d’autre choix à ce dernier de concéder la direction effective de son entreprise.

Quand revendiquer un engagement réputé acquis ?

                Dans certains cas, l’application de l’engagement réputé acquis sera une solution intéressante. Il s’agira généralement de la volonté du donateur de transmettre toutes ses prérogatives sur sa société à ses héritiers sans concession. Cela nécessitera en pratique au moins un enfant repreneur suffisamment aguerri pour reprendre la direction de la société.

La solution est donc inenvisageable lorsque les héritiers exercent une autre activité, ou sont encore mineurs. Si la réponse ministérielle Marini du 7 juillet 2011 (non reprise au Bofip) pourrait laisser espérer une tolérance de l’administration dans l’hypothèse où le donataire éligible décèderait en cours d’engagement individuel et laissant des cohéritiers non éligibles à la fonction de direction, il semble impossible d’établir une stratégie sur le recours éventuel à un mandataire gérant pour pallier ce manque.

Rares sont les situations aussi tranchées dans la pratique où le Chef d’entreprise décide de transmettre à ses héritiers « sa » société tout en laissant à ces derniers le soin d’assurer seuls la gestion et l’orientation de la société.

L’âge du départ à la retraite ne cessant d’être reculé, nos clients envisagent généralement une transmission dans une tranche d’âge moyenne (50-60ans) leur permettant d’appliquer le plus grand nombre de dispositif de faveur (Dutreil, barème usufruit CGI art 669, réduction de droits de 50% pour les donations en pleine propriété avant 70 ans etc.). Une transmission de tous les pouvoirs de direction aux donataires, alors que le chef d’entreprise envisage de poursuivre son activité n’est donc pas une solution envisageable. 

Les solutions alternatives

L’anticipation

                Comme pour la plupart des régimes de faveur, l’anticipation reste la meilleure arme contre les déconvenues.

Les conseils ont également un rôle à jouer. Devant l’inertie de leurs clients, les conseils doivent interroger ces derniers sur le devenir de leur entreprise. Plus une transmission est anticipée, plus il est possible de respecter le cahier des charges imposé par le client.

Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’avoir une société évaluée à 10 ou 20 millions d’euros pour donner l’alerte. Une entreprise à 1 million d’euros peut également engendrer des droits de donation importants, contraignant le donateur et ses héritiers à vendre la société [faute de pouvoir payer les droits]. Outre le manque d’anticipation, le conseil [avocat, expert-comptable ou notaire] perdra également très certainement la société qu’il compte dans sa clientèle depuis plusieurs années au profit d’un cessionnaire tiers.

Le choix de la forme sociale

                La forme sociale est également une alternative au manque de flexibilité de l’engagement réputé acquis.

Si le donataire doit effectivement exercer une fonction de direction dans la société dont les titres sont transmis, rien n’empêche le donateur d’exercer également une fonction de direction dans cette même société.

Des aménagements statutaires peuvent dans certains cas permettre d’assurer la stabilité de la gouvernance de la société.

Ainsi, dans le cadre d’une cogérance, donateur et donataire auront des pouvoirs concurrents dans la société.

Il est également possible de prévoir une séparation des pouvoirs entre plusieurs dirigeants sociaux comme le PCA, Président SAS, DG etc. Dans la limite des dispositions légales et réglementaires il est permis d’étendre les pouvoirs du Président [donateur] et de restreindre ceux de son Directeur Général [donataire].

Remarque : Société de personnes – la présente note est limitée à l’appréciation de l’engagement réputé acquis dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés. Lorsque le dispositif Dutreil est appliqué sur une société de personnes de l’article 8 et 8 ter du CGI, l’exigence d’une fonction de direction est remplacée par l’exercice « de l’activité principale » du donataire. Dans cette hypothèse, si le donataire exerce une autre activité principale, ou ne souhaite tout simplement pas réellement reprendre la société familiale, la conclusion d’un ECC sera impérative.

La création d’actions de préférence ou d’avantages particuliers

                Une autre solution alternative consisterait à créer des actions de préférences ou attribuer des avantages particuliers à certains titres, permettant au donateur de conserver certaines prérogatives (droit de vote majoré, droit de veto…).

Il conviendra d’anticiper dès le départ les délais nécessaires à la réalisation de ces opérations ainsi que le coût y afférent (Rapport Commissaire aux avantages particuliers, publication etc.).

Enfin, même dans le cadre d’une transmission d’une société détenue à 100% par le cercle familiale, il conviendra d’apprécier a priori, la faisabilité de ces opérations auprès de tous les associés (par exemple, la transformation d’une SARL en SAS nécessite l’unanimité des associés).

 

Auteur : Thomas RIGAL

Service droit des affaires

SCP VIALLA & DOSSA, Notaires à MONTPELLIER

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