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La notion d'abus de droit

Une notion aux contours strictement limités

                Le contribuable peut privilégier une opération juridique à une autre en raison du régime fiscal qui y est attaché. Il est normal que le Notaire, fiscaliste, dans son rôle de conseil cherche à réaliser l’opération sous le régime fiscal le plus favorable pour son client.

On ne saurait s’empêcher de citer sur ce point les conclusions, rendues par B. Martin Laprade : « … la société a agi avec beaucoup d’habilité dans cette affaire. Mais, contrairement à ce que parait considérer l’administration, l’habilité des contribuables n’est pas nécessairement un vice de nature à justifier un redressement » (Dr. Fisc. 1978, comm. 280).

En revanche, le contribuable ne droit pas abusivement chercher à éluder ou à atténuer les impositions qu’il devrait normalement supporter. S’il a créé les apparences d’une situation qui ne correspond pas à la réalité, autrement dit, si l’acte est fictif, il ne fait pas de doute que l’administration est fondée à réclamer les impôts éludés du fait de cette « tromperie ». Mais même lorsque l’opération est réelle et n’est pas stricto sensu critiquable en droit parce que le contribuable a respecté à la lettre les prescriptions du Code général des impôts, elle peut également être remise en cause sur le fondement de la fraude à la loi si le contribuable a péché par « excès d’habileté fiscale ». Dans ces deux cas, l’administration est fondée à considérer comme lui étant inopposables les actes en cause en invoquant l’abus de droit.

La frontière délimitant le champ d’application de l’abus de droit est donc parfois malaisée à cerner. Pourtant, les conséquences sont redoutables. L’administration peut non seulement exiger les droits éludés, mais également les intérêts de retard et une pénalité égale à 40% ou 80% des droits réclamés.

La mise en oeuvre de l'article L.64 du LPF

La fictivité ou la « simulation »

                Comme l’a relevé Laurent Olléon dans ses conclusions sous l’arrêt Janfin (CE, set. 27 sept. 2006, n°260050 : Dr. Fisc. 2006, comm. 744, concl. L. Olléon), la fictivité constitue l’une des deux branches de l’abus de droit qui sont mises en œuvre dans le contentieux administratif général pour déclarer certains actes inopposables à l’administration.

La fictivité est invoquée en droit fiscal pour écarter un acte juridique ne correspondant pas à la réalité. Si l’acte est fictif, il est alors présumé violer les objectifs de la législation dont le bénéfice est revendiqué. En d’autres termes, dès lors que la fictivité est établie, il n’est pas nécessaire de démontrer que l’acte fictif a été établi dans un but purement fiscal. Toutefois, pour exiger les droits dus, l’administration devra restituer la nature véritable de l’opération, et une fois établie, elle n’aura pas à se préoccuper des raisons ayant justifié cette dissimulation.

La fictivité peut prendre plusieurs formes

                Il peut s’agir en premier lieu, d’un acte qui ne correspond à aucune réalité : tel est le cas d’un bail fictif ou d’une société fictive.  Le Conseil d’Etat (CE, 7 oct. 1989, n° 42924) a par exemple jugé qu’était fictive la société civile professionnelle constituée par un expert-comptable et son conjoint dans la mesure où les recettes de la société figureraient sur le même compte bancaire que celui détenu par l’expert-comptable et qu’en outre la société ne disposait même pas de locaux lui permettant d’exercer son activité.

La fictivité peut également être invoquée lorsque l’opération est déguisée. L’exemple le plus fréquemment cité est celui des « donations déguisées en ventes ». Afin de limiter le coût fiscal d’une libéralité, certains contribuables n’hésitent pas à dissimuler une donation sous le couvert d’une cession à titre onéreux d’un bien. En effet, les droits de mutation en cas de vente sont de 5,80% là où les droits de donation peuvent atteindre 60% en cas de non parenté entre le donateur et le donataire.

La fictivité suppose un élément intentionnel

                L’administration doit rapporter la preuve d’un élément intentionnel, c’est-à-dire la volonté du contribuable de tromper les tiers (« notamment l’administration »). C’est cet élément qui permet de tracer la délimitation entre une opération déguisée, et la simple interprétation des dispositions contractuelles. Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas pour l’administration de déclarer que le contrat est inopposable, mais au contraire d’en apprécier les conséquences juridiques et fiscales. L’administration ne met pas en cause la sincérité de la convention, amis ne partage pas l’interprétation qui en a été faite par le contribuable. Le Conseil d’Etat a ainsi jugé, dans un arrêt du 20 juillet 2007, que l’administration n’avait pas à invoquer l’abus de droit lorsque la seule interprétation des clauses d’un contrat permettait de considérer que la convention n’avait pas la nature d’un contrat de location-gérance mais de cession de fonds de commerce (CE, 20 juillet 2007, n°294300).

En revanche, l’administration peut écarter les conséquences résultant d’un acte non fictif que si le contribuable commet une fraude à la loi.

La fraude à la loi

                En droit privé, la fraude à la loi peut être définie comme « l’usage d’un droit avec une fin contraire à celle définie par le législateur ».

Le Conseil d’Etat n’hésite pas à déclarer inopposables à l’administration des « actes réels » qui n’ont toutefois été effectués que dans le seul dessein d’obtenir un avantage auquel l’intéressé n’avait pas le droit.

Nous pouvons prendre l’exemple sur l’arrêt TF1 du 20 janvier 1989. Dans cette affaire la loi imposait à cette chaine de télévision de diffuser une certaines quantités d’œuvres françaises ou communautaires. TF1 avait « littéralement » respecté ces quotas en diffusant toutefois lesdites œuvres pendant des programmes de nuit, quand l’audience est quasi nulle. Même si TF1, stricto sensu, avait respecté la lettre du texte qui ne prévoyait aucun horaire de diffusion, elle n’avait agi ainsi que dans le but de contourner l’objectif poursuivi par le législateur.

C’est dans ce contexte et dans un souci de sécurité juridique des relations entre l’administration et le contribuable que le législateur est intervenu à la fin de l’année 2008 pour modifier l’article L.64 du LPF.

Deux séries de conditions doivent être satisfaites, si l’acte n’est pas fictif, pour que la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L.64 du LPF puisse être mise en œuvre.

Le but exclusivement fiscal

L’abus de droit est caractérisé lorsque l’opération, même non fictive, n’a pu être inspirée par aucun motif autre que celui d’éluder ou atténuer les charges fiscales que le contribuable, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités.

Quoi qu’il en soit, il ne suffit pas, en l’état actuel du droit, d’établir des effets autres que fiscaux, s’ils sont non significatifs ou négligeables, pour que le juge écarte l’abus de droit au motif que le but de l’opération ne serait pas exclusivement fiscal. Comme le souligne Florence Deboissy et Guillaume Wicker, le Conseil d’Etat ne s’attache pas aux motifs non déterminants dans l’opération ; un abus de droit doit être reconnu lorsque le motif déterminant a été exclusivement fiscal.

Le contribuable peut choisir le sens le plus favorable fiscalement !

Si le but de l’opération ne doit pas être exclusivement fiscal, le contribuable reste libre de choisir l’option qui lui est la plus favorable.

C’est toute la distinction entre « optimisation fiscale » et abus de droit.

Dans un arrêt Auriège du 21 mars 1986, le Conseil d’Etat a jugé que lorsqu’une opération de fusion répondait à un intérêt économique, les sociétés pouvaient procéder à l’opération de restructuration dans le sens qui leur était, du point de vue fiscal, le plus favorable.

Un élément « objectif »

                L’article L.64 du LPF pose désormais une seconde condition nécessaire à la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit sur le fondement de la fraude à la loi : le contribuable doit avoir recherché « le bénéfice d’une application littérale des textes ou des décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs ».

Ainsi, il ne suffit pas que le contribuable ait cherché un but exclusivement fiscal : encore faut-il que l’application littérale des textes produise des effets contraires à ceux recherchés par leurs auteurs.

Pour déterminer l’esprit de la loi, les travaux préparatoires seront dans nombre de circonstances d’une grande utilité (même si dans la majorité des cas les dispositions législatives sont votées à la dernière minute par amendements auxquels cas il restera au moins l’exposé des motifs)

Que faut-il entendre par décision ?

                L’article L64 du LPF vise « les actes recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs… ».

Cette interprétation est particulièrement délicate puisque la jurisprudence n’a jamais mentionné ce terme et que le rapport Fouquet avait préconisé de modifier l’article L.64 du LPF en reprenant mot pour mot la définition jurisprudentielle.

D’après ce dernier, il semblerait que ce terme ait été ajouté à la définition de l’abus de droit en matière de sécurité sociale. Or, comme le législateur souhaitait un parallélisme absolu avec la notion d’abus de droit en droit fiscal, le mot « décision » a également été ajouté.

Les conséquences de l’abus de droit

Le rehaussement des impositionsEn premier lieu, l’acte coupable d’un abus de droit sera inopposable à l’administration fiscale. Cette inopposabilité va permettre à l’administration de calculer les droits dus à raison de l’opération.

En cas de simulation, l’administration peut établir l’impôt en tenant compte de la situation réelle. Par exemple, dans le cadre d’une donation déguisée, elle peut appliquer à l’opération les droits de mutation à titre gratuit et réclamer au contribuable la différence entre ce qui est dû (DMTG) et ce qu’il a acquitté (DMTO).

En cas de fraude à la loi fiscale, l’administration peut là aussi écarter l’acte pour établir les droits dus.

La majoration des droits – Selon l’article 1729-b du Code Général des Impôts, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti d’une amende de 80% ou 40% des droits dus.

Ainsi, l’amende peut être réduite de 80% à 40% dans deux cas :

-Lorsqu’il n’est pas établi que le contribuable a eu l’initiative principale du ou des actes constitutifs de l’abus de droit ;

-Lorsqu’il n’est pas établi qu’il en a été le principal bénéficiaire.

C’est à l’administration qu’il revient de rapporter la preuve et le bien-fondé des pénalités en matière d’abus de droit.

L’intérêt de retard - En sus de l’amende fiscale, le contribuable devra s’acquitter des intérêts de retard de 0,40% par mois visé à l’article 1727 du CGI, soit un montant de 4,80%, et bien souvent. Comme tout capitaliste, l’administration attendra souvent en pratique la dernière année de prescription avant de relever l’abus de droit afin de réclamer l’amende et les intérêts de retard.

Notre conseil :

A l’heure actuelle des textes, dans toute opération engendrant une « optimisation fiscale », il est indispensable de s’appuyer sur une documentation « épaisse » (travaux parlementaires, Bofip, rapports ministres, guide fiscaux, circulaires…), et de justifier les opérations en considération de cette documentation.

Mentionner cette documentation dans les actes permettra d’orienter le vérificateur vers les enjeux réellement souhaités par le bénéficiaire et contribuera à son bien-fondé.

 

Auteur : Thomas RIGAL

Service Droit des Affaires

Vous pouvez retrouver l'article complet et l'ensemble des conseils pratiques à télécharger.

 

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